De la souffrance...
Alors que l'astre des astres montait peu à peu au sommet de la voûte céleste, l'Ermite des Montagnes s'installa en position du lotus. Assis sur un banc entre deux fontaines, il laissa son esprit s’imprégner de la plénitude de l'instant : le son délicat des clapotis de l'eau coulant le long de la pierre, l'odeur raffinée des plats préparés dans l'Auberge de la Haute, l'imperceptible va-et-vient de la brise qui s'engouffre dans ses poumons... Alors que le soleil touchait presque son zénith, Ryoji commença à laisser s'écouler quelques phrases dans le flux quotidien des rumeurs de la ville :
« Je suis une graine tombée des cieux,
Au creux de la tourbe je me suis enfoncé,
Pour transmettre l’enseignement et sauver les égarés.
Le germe devenu pousse, la pousse un arbre,
Une fleur s'ouvre en cinq pétales,
Et le fruit mûrit naturellement. »
Ainsi parlait Celui qui apporta la Fleur de Sentience...
Le moine laissa quelques instants s'épanouir comme un bourgeon au printemps, puis il reprit :
Une existence aussi fugace que le souffle d'un papillon, et un esprit confus comme le vol d'une hirondelle ballotté dans le tumulte d'une tempête. Nous somme tous confrontés aux questions fondamentales de ce monde : celles de la souffrance, de la détresse et de la mort... la nôtre comme celle d’autrui. On dit « qu'à la naissance d'un enfant ou d'une étoile, il y a souffrance », certains prétendent même que « la vie est une longue agonie ». Ainsi, pour conjurer cette mauvaise ombre nous fuyons sans cesse notre condition, nous gesticulons contre la vie elle même, désirons sans cesse d'autres objets de plaisirs pour effacer notre douleur. Douleur qui sitôt revient nous hanter la chair et l'esprit, éternellement insatisfait, nous perpétrons ce cycle sans fin. Bien souvent, trop occupé à poursuivre cette quête illusoire, nous oublions les autres, nous les blessons, les écrasons, les faisons souffrir de peur qu'ils fassent de même... D'agneau nous devenons loup, et la meute dévore ses propres membres...
Il existe cependant une autre voie, qui comme le printemps succède à l’hiver, permet de régénérer ce qui est stérile et peu à peu transformer un désert aride en oasis luxuriante. Les ascètes des montagnes la nomme le « Chemin de la Sentience ». Il ne s'agit pas d'une doctrine faite de prophètes et de gardiens, mais plutôt d'une longue marche vers l'oublie de soi et la connaissance des autres êtres sentients. Elle ne dit pas « tu dois et je te donne », mais « cherche en toi et tu trouveras », elle ne te promets pas de mondes illusoires mais de contempler la vacuité de l'instant présent, elle ne t'accordera aucun plaisir et délice mais t'apprendra l'oublie du désir et de la souffrance...
Dans l'épanouissement d'un dernier souffle le bonze conclus :
Puisse peu à peu la Fleur de Sentience éclore dans ton âme...