Au fond d'un livret poussiéreux, sur un bureau de la Chapelle de Ménoch, une page inachevée...
Mon regard peine à se détacher de ce vieux manteau décâti... Combien de fois Aethyr, Xalith et d'autres ont remis en question les vertues esthétiques de cette antique étoffe ? Je ne peux leur donner entièrement tort. Et pourtant, rarement déguisement fut plus efficace que celui qui câcha jusqu'à l'âme de sa porteuse à elle-même...
Le Manteau d'une Conteuse qui un siècle durant s'est raconté des histoires, avec un petit h, par peur de l'Histoire à laquelle mon éducation me prédestinait.
Les Créatures du Voile approchent, et me voilà encore hésitante.
Vais-je périr en un dernier éclat d'hypocrisie, en cette Chapelle de Divines Supercheries, Conteuse-Prêtresse, pleurée et regrettée comme la respectable Vierna T'siir ?
Non... Cela fait désormais bien des mois que le Voile se lève, et je fais de moins en moins illusion. Ce ne sont ces créatures qui me tourmentent, mais cet assaut perpétuel de mes souvenirs, jour après jour, nuit après nuit.
J'ai inventé Vierna il y a si longtemps, que j'avais fini par croire être devenue cette elfe noire ayant brisé le moule où elle avait été forgée. Etre devenue cette ménestrelle un peu cynique mais sensible...
Que de mensonges proférés pourtant à ceux qui tiennent à moi...
Que de craintes vis-à-vis de la douleur, à en laisser d'autres souffrir à ma place...
Les illusions se dissipent... mes félins furent les premiers à en prendre conscience. Ils sont partis, peu à peu, blessés par mon empathie faillissante.
Je n'étais pas, je ne suis plus leur combat.
La pierre se souvient. Elle s'est toujours souvenue. J'étais la seule à vouloir oublier.
Vierna T'siir, l'enfant qui écoutait aux portes...
Vierna T'siir, la jeune femme qui ne rechignait pas à bousculer dague en main les apprentis assassins...
Vierna T'siir, l'elfe noire dont on craignait qu'elle fasse parler la pierre...
Vierna T'siir, la réthorique et l'assurance des Matronne...
Vierna T'siir, la Lâche qui a fuit son destin...
C'est une elfe noire sans son éternel manteau bleu qui embarqua à bord du navire. Elle saignait, mais ne semblait en avoir cure.
De multiples fourreaux étaient ceints à une robe en partie déchirée. Un seul portait une lame, courte.
Elle tenait contre elle un grimoire encore fumant.
Nul luth à son dos... pas plus que de velus compagnons à ses côtés... L'Harmonie semblait bel et bien brisée.