Habituellement, lorsque cet éclatant cristal d'homme chantait, c'est parce qu'il avait une chanson préparée, un morceau dont il connaissait les paroles et les notes par coeur ou à peu près. Ceux qui le connaissaient savaient que la diligence était loin d'être l'un de ses traits marquants, sauf lorsqu'il était question de boire. Il arrivait donc qu'il soit pris au dépourvu et qu'il doive improviser des mots bien vilains sur un air des plus banals.
« Mais qu'est-ce qui te prend, Madeleine?
N'aimes-tu plus tes bas de laine?
Cette grimace te rend bien laide
Ça doit être le bain d'eau tiède
Moi j'ai un truc pour te rendre aimable
Parce que moi ch't'un homme affable
Tu vas voir, c'est génial
Viens là, tu t'sentiras royale... »
Le rythme ralentissait parfois ou les mots laissaient place à des notes plus nombreuses lorsque Sathir cherchait ses rimes. Là, par contre, il s'accéléra, devenant joyeux et festif.
« Viens que j'te prenne en animal!
T'inquiète pas, ça fera pas mal!
Sauf si t'aimes ça, sauf si t'aimes ça
Viens qu'on passe la nuit dans le foin
Ou l'après-midi, ou le matin!
Chuis pas méchant, moi je mords pas
Sauf si t'aimes ça, sauf si t'aimes ça
Moi j'connais toutes les entrées
Si on approche, je peux me sauver
Mais j'prends pas souvent la porte arrière
Sauf si t'aimes ça, sauf si t'aimes ça! »
Avec l'enchaînement redevenant plus lent, on pouvait le voir songer à son prochain couplet, au grand malheur de certains.
« Mais t'attends qui, Nicholas?
Aide-moi à transporter ce chocolat
C'est pour une commande d'état
Suis-moi, oublie cette Anita
Faut des gâteaux et des croissants
Attention, c'est un peu salissant
T'en as partout sur tes vêtements
Chuis maladroit, c'est embêtant!
« Viens dans l'bain pour te nettoyer!
Avec ma langue pour te débarbouiller!
T'inquiète, j'vais pas te manger
Sauf si t'aimes ça, sauf si t'aimes ça
On m'a dit qu't'étais un enfoiré
La tête un beignet peu fourré
J'ai dit mais non, c'est pas un enculé
Sauf si t'aimes ça, sauf si t'aimes ça
Pense pas à ta fiancée
C'est pas méchant juste de baiser
Chuis pas du genre à les séparer
Sauf si t'aimes ça, sauf si t'aimes ça! »
Et la chanson s'arrêta là, car les rimes empiraient et les calembours aussi. Les réfugiés avaient déjà assez payé pour leur mauvaise humeur.