Une simple fille de pêcheurJe m'appelle Greta. J'ai 15 ans. Même si elle ponctuée de drames, mon histoire est hélas très banale ... Le monde a été chamboulé et malgré notre isolement nous n'avons pas à échappé à ses remous.
Je viens d'un clan Ansgar, sur une côte rocheuse et désolée. Le clan Kjari. Ça ne vous parlera probablement pas ... Le Jarl était un homme fort et tranquille, ses guerriers se contentaient le plus souvent de tenir éloignées les menaces les plus directes. Je vous mentirai si je vous disais qu'il n'arrivait pas de temps en temps les hommes reviennent d'expédition avec des richesses et des captifs, cela était fait en toute discrétion et restait bien caché. Les gens diraient sûrement que c'était de la faute des gens de la baie aux requins de toutes façons ... Personne ne jalousait des richesses que nous ne possédions pas. Nous n’étions pas bien placés pour le commerce et les ressources qui nous entouraient n'avaient rien de précieux, hormis peut-être le sel, notre or blanc que nous collections et qui nous servait à tant de choses ... Bref, il n'y avait pas assez à gagner à nous attaquer. Peu de gens voulaient se frotter aux guerriers du Jarl, si ca ne rapportait rien.
Je suis fille de pêcheur. Depuis toute petite, j'ai toujours joué mon rôle au sein de ma famille ... Nous vivions en communauté dans une maison longue qui regroupait toute la famille et dans laquelle toutes les activités de faisaient. Nous n'étions pas riches pour autant que je puisse en juger. Mon père n'avait qu'une femme, il n'aurait pas su entretenir de concubines ni d'esclaves comme beaucoup le font.
Pendant que les hommes de la maison partaient pêcher et que ma mère allait vendre à la criée, mes soeurs et moi nous occupions de ce qu'il y avait à faire à la maison. Nous préparions les repas, vidions et fumions les poissons que nous voulions conserver, reprisions les vêtements, recousions les voiles, réparions les filets, allions poser les paniers à crabe ... Et j'en passe. Il y avait tant à faire que nos journées étaient bien remplies. Nous menions une vie simple, nous vivions une vie ordonnée et nos parents dictaient des règles qui nous paraissaient bonnes et justes.
Mon destin était tout tracé : J'avais tout appris de la vie de femme de maison. J'étais promise à un des fils d'une autre famille de pêcheurs, plus riche que la notre. On nous bâtirait un jour une maison dans laquelle nous nous installerions ... La promesse d'une vie simple, sans surprise.
Pour autant que je me rappelle et aussi curieux que ca puisse paraître, jamais je ne m'étais interrogée sur ces choix imposés par mes parents et il ne m'était jamais venu à l'esprit de me rebeller contre .... Les choses étaient comme ça, point. Personne chez nous ne songeait à se rebeller contre son destin ... Ça avait quelque chose de sacré à nos yeux. De toutes façons les hommes avaient tendance à disparaître en mer ou mourir jeunes ...
La vie n'était pas que travail. Nous avions aussi des distractions. Elles vous paraîtront probablement très simples, mais nous aimions aller explorer les rochers sur les côtes. Grimper a pieds nus sur les falaises aux rochers saillants, dénicher les coquillages et crustacés qui s'y cachaient et rapporter ces trouvailles à la maison pour le plaisir de tous. Sur les plages de galets nichées au fond des criques abritées nous jouions à faire des ricochets sur l'eau, à l'aide des petites pierres ronde que nous ramassions. Parfois nous fabriquions des radeaux avec mes frères et nous allions explorer les environs. Nous savions éviter les temps dangereux et les courants les plus retors. C'était chez nous, nous ne courrions aucun danger.
Il nous arrivait aussi d'aller épier les colporteurs et voyageurs qui parfois passaient. Nous écoutions les histoires du monde, nos parents donnaient quelques sous et un repas chaud en échange de chansons. Je ne devrais pas vous le dire mais il arrivait aussi que le village accueille quelques pirates ... Il était facile de se cacher dans les criques rocheuses de notre côte et les gens du clan y trouvaient sans doutes leur compte, entre le butin qu'ils dépensaient contre du ravitaillement et les travaux de charpenterie pour réparer ou camoufler les navires pris. Quand ca arrivait, nous, les filles du village, étions évidement éloignées. Les pirates avaient le droit à la compagnie des captives et esclaves, pas des filles du clan. Nous nous contentions d'écouter les échos de leurs fêtes ou des les épier de loin, suffisamment agiles sur les rochers pour leur fausser compagnie si l'un d'entre eux était pris de l'envie de nous attraper ...
Les hordes du voileNotre clan n'a pas été plus ou moins épargnée que les autres quand le voile a libéré les hordes de monstres venues nous anéantir. Ça avait commencé par des rumeurs ... des histoires racontées par les colporteurs et les voyageurs qui parfois passaient par chez nous ...
Chaque jour, de nouvelles histoires étaient racontés, plus précises, plus atroces et évoquant des faits toujours plus près. Un beau jour, l'ensemble du clan Kjari répondit à l'appel aux armes décrété par les clans Ansgars les plus puissants. Tous les hommes de la maison prirent les armes et partirent à la guerre, au milieu de centaines d'autres ... Mon père, mes frères, sortirent les lances, les boucliers, les haches, les armures qu'ils gardaient et entretenaient au cas où. Parce qu'un homme doit toujours être prêt à défendre son foyer, du Jarl au plus humble des pêcheurs.
Ils partirent tous. Nous ne les revîmes plus jamais. La rumeur d'une défaite parvint à nos oreilles.
La fuiteL'évidence nous avait frappée : nous devions fuir. Ce qui restait du clan se dispersa. Nous choisîmes la voie de retraite qui nous semblait à toute la plus sûre : la mer. Nous entassâmes le navire de pêche de la famille de provisions, abandonnant tout ce qui n'était pas indispensable derrière nous. J'abandonnais mon foyer le cœur serré, alourdissant encore ma peine d'avoir perdu frères et père ...
Nous fîmes voile pendant deux semaines ... Notre mère semblait confiante quant à notre destination. Mes soeurs et moi avions confiance en elle. Elle avait navigué étant jeune ... Nous faisions chaque matin des offrandes aux dieux pour que les vents nous portent vers un endroit sûr. Nous finîmes par trouver un îlot. Sans doutes que maman le connaissait. C'était un tout petit morceau de terre au milieu d'un vaste océan. Nous pouvions en faire le tour en moins d'une heure ... Mais c'était malgré tout un endroit où nous pouvions nous arrêter et prendre le temps de nous remettre de la fuite. Nous y sommes restées quelques semaines, plusieurs mois peut-être. Nous avons pu profiter des maigres ressources que proposait l'endroit, vivant de la cueillette et reconstituant des stocks de poissons fumés et séchés grâce à la pêche. Mais rapidement, tout le bois de l’îlot fut épuisé, toutes ses ressources collectées. Nous avons du repartir.
Le naufrageEst-ce la malchance ou les maléfices du Voile ... ? A peine une semaine après le départ, une tempête arriva et malmena l'embarcation. En dépis de nos efforts, une lame de fond balaya le pont. Sans doute étais-je la moins adroite, j'ai été emportée. J'ignore si mes soeurs et ma mère tinrent bon ... Moi j'étais promise à la mort, seule paniquée au milieu de cette tempête déchaînée. Même en sachant nager, même en tenant bon, je savais que sans une terre, sans un ancrage, je finirais au fond de l'eau. Il y aurait eu pire mort pour une Ansgar mais je ne suis pas très courageuse, je n'avais pas envie de mourir. Je ne saurais vous dire combien de temps j'ai tenu ... Un voile d'oubli me tomba dessus. Peut être que j'avais perdu conscience.
C'est sur une plage de galet que je me réveillais ... blessée, malade, affaiblie, les membres et les poumons en feu. Le sel brûlait les nombreuses éraflures qui zébraient mon corps. Le sel ... j'avais son goût si familier sur les lèvres ... Étais-ce celui de la mer ou des larmes que je n'avais su retenir ? J'avais échoué sur un île, seule ... Mes vêtements étaient en lambeau, décolorés, encroûtés de sable. Je me suis relevée et j'ai regardé autour de moi. Pas de débris de bois sur la plage ... Ma famille était sans doute indemne quelque part ... J'étais quelque part un peu soulagée.
Je vois au loin des lumières et des fumées dans le ciel. L’île est habitée, elle a l'air grande. Je sèche mes larmes. Il parait que quand on pleure, c'est un peu de l'eau de la mer qu'on vole à l'océan et qui ne lui reviendra pas. Encore une fois, le destin me force la main ... Je n'ai pas d'autre choix que d'avancer. Je n'ai pas le temps de m'apitoyer sur moi même si je veux vivre ...
Si l'île est habitée, je me dois de trouver des protecteurs ... Je ne ferai pas long feu toute seule ...
Si seulement j'avais ne serai-ce qu'un couteau ...