Loin d'être un médium idéal pour la calligraphie, l'écorce est pourtant ce qui lui est le plus accessible. C'est pourquoi deux exemplaires de la même lettre, l'une en commun, l'autre en Eodh, se sont retrouvées dans le courrier de la Communauté des Savoirs.
À qui de droit,
Je me nomme Risel et suis charpentier-menuisier de profession. N'ayant eu que des bribes des événements que je mentionnerai plus loin, je requiers le bon vouloir de votre communauté pour m'éclairer.
Concernant le rituel de renouvellement, peut-on assumer qu'il est dès lors effectif et que nous puissions puiser plus férocement dans les ressources sylvestres que l'île peut offrir ?
Concernant les dryades, y a-t-il façon d'entrer en contact avec elles ? Je prévois abattre prochainement quelques chênes de bonne taille, mais préfère m'enquérir d'avance s'ils sont possédés ou pas.
La missive d'écorce arriva comme une heureuse surprise, quand elle la dénicha lors de son passage à la communauté du savoir.
Elle répliqua de la même façon au menuisier, sur écorce de bouleau, dans la langue de l'Ancien Empire comme en commun. Elle-même préférait l'écorce au vélin du parchemin, non seulement était-elle plus abondante, mais de plus le bouleau pouvait se renouveler, faire peau neuve, chose qui n'était pas dite de l'animal écorché.
Citation :
Risel, mes saluts à toi,
D'abord j'aimerais te remercier d'écrire, à ce sujet.
Si le rite a été fait, je comptais observer dès lors son efficience et sa magnitude. Suivant la réalisation de tels processus, on ne peut qu'espérer le mieux et de fait, je comptais observer l'action des bucherons, quant à savoir si le rite fonctionnera ainsi que Ryoji et moi l'entendions. Nous avions espoir qu'arbres abattus en tout pourraient repousser assez rapidement, qui depuis troncs voire souches laissés derrière, en une question de jours à peine, ne laissant jamais de trouée durable à moins que les souches ne soient arrachées pour de bon (ne rendant pas le déboisement impossible, mais délibéré plutôt que conséquence fortuite des grands projets qui animent la colonie, comme de la quantité de bois prohibitive à céder aux truands nordiques).
Je m'imaginais mener l'observation discrètement, nombreux sont les bucherons qui se sont mis à pied d'oeuvre depuis le débarquement, mais lire ta question me fait chaud au coeur. Saurais-tu procéder à la coupe, puis l'observation de la regénération d'un carré d'une douzaine d'arbres, et me dire si le résultat est concluant?
Quant aux dryades, il faut dire que de coutume, leurs arbres sont facilement reconnaissables, du moins ce que j'en avais vu sur le continent : feuillages parfois écarlate, luminescence possible du tronc, allures humanoide évoquée en la disposition du tronc et des branches, et généralement révolte ostensible qui de l'arbre ou de la dryade lorsque l'on tente préjudice audit arbre.
Cela dit, il semble que celles de l'ile soient définitivement particulières. Elles semblent affaiblies, peut-être par la rupture du Voile. Devenues trop faibles, ou trop passives, pour assurer leur propre défenses. Les arbres qu'elles occupent montrent des signes plus subtils de leur présence. Le dessin d'un visage dans l'écorce tout vague, des forces magiques plus ténues dégagées d'un arbre pouvant se fondre aux autres.
Je pense que pour les reconnaitre sur l'ile, deux moyens seraient les plus évidents : le premier, la sensation d'une force magique au sein même de l'arbre, que ceux liés à l'éther peuvent sentir. Sans lien clair au Voile, cela peut s'avérer complexe mais j'ai peut-être en tête une solution. La préparation d'un artefact, soit un bijou enchanté s'illuminant à l'approche d'une force druidique assez ténue, pourrait être une chose que j'envisagerais de fournir aux bucherons consciencieux, dont tu semble faire partie.
Autrement, et entretemps, je t'encourage à te méfier de ces arbres qui semblent "hors saison" : ceux qui portent une floraison même en hiver, en été, ou automne. Ceux qui portent des fruits, même au printemps. Ceux qui toujours restent en bourgeons, ou avec la vibrance estivale en leur feuillage. C'est signe d'une force magique probante, et une dryade pourrait donc les occuper, assurant ainsi leur "permanence".
L'arbre des dryades coupé par accident a été replanté, près du cercle druidique. Il s'agissait d'un noyer, qui replanté, a trouvé feuillage prolifique même au printemps. Je t'encourage à n'entammer aucun des arbres avoisinant le Cromlec'h (autrement connu comme Cercle Druidique), ni, non plus, de ces grands arbres colossaux dont les racines forment caches. Si par ailleurs, tu désires t'entretenir avec les dryades elles ont au moins une représentante dans le noyer avoisinant le cercle. Leur langage se rapproche de la langue féérique, ainsi, peut-être devras-tu emporter avec toi traducteur.
Si tu avais toute autre question, ou désirais me rencontrer afin d'obtenir toute aide en ton entreprise, n'hésite pas.
Puissent les Astres te veiller, ainsi que ton oeuvre.
Constatant qu'il recevait une réponse dans les deux langues, sa prochaine missive ne serait écrite qu'en commun, de sa calligraphie un peu empressée qui courait sur l'écorce.
Siv, Salutations.
Concernant le carré d'arbres, la moitié sera transformée en grume puis débitée en billots jusqu'à ne laisser que la souche, et l'autre pendant ne sera qu'élagué. Vous aurez un suivi à ce sujet.
Concernant les dryades et leur identification, j'en prends bonne note. Advenant que vous mettiez au point tel bijou, j'ai assurément un bracelet qui serait plus qu'adéquat pour recevoir pareil traitement. Soyez également convaincue que je porterai plus encore attention aux feuillages et emplacements des arbres auxquels j'apporte ma hache.
À vous lire, une question bien candide me traverse l'esprit : suffirait-il de s'adresser en féerique à certains arbres suspicieux et d'espérer réponse de leur part ? À moins que les dryades ne soient trop effrayées ou léthargiques pour oser signifier leur présence ?
Je débuterai mes essais prochainement, avec un bijou, et te ferai savoir s'ils sont concluants.
Et, peut-être répondraient-elles, mais il semble que les dryades de cette ile-ci peuvent être trop effrayées, ou léthargique pour répondre, pour des raisons qui m'échappent encore. Leur arbre, non pas seulement menacé, mais entammé la dernière fois, chose extrême si tant est, ne les a pas amenées à se manifester à celui qui le coupait : nous n'avons découvert que trop tard la nature de l'arbre. Ainsi, je doute que la simple adresse les mène à se montrer.
L'enchantement du bracelet n'est pas infaillible. J'ai par malheur entaillé un arbre à dryade, en procédant pour les tests. Heureusement, Ryoji passait par là, et la force inhérente de la toute-verte firent en sorte qu'elle s'en est remise rapidement. Elle m'a cependant laissé un message, à peu près en ces mots :
"Nous sommes patience et pardon. Mais à trop tirer sur la corde, elle finira par se rompre. Si l'île ne nous protège pas, elle nous sera au moins vengeance. Apprenez à coexister avec nous, entendez le battement des arbres."
L'érable en question, au nord-ouest du cercle druidique, a désormais une corde blanche attachée autour du tronc, bien visible.
Et si d'aventure quelqu'un pose son oreille contre le tronc d'un arbre à dryade, il y a bel et bien le battement d'un coeur dans l'écrin d'écorce, et le vent s'amuse à carillonner dans ses feuilles...
Je ne peux que t'encourager à répandre ce savoir autour de toi, tout comme je tâcherai de le faire...
Risel
Post-Scriptum: le rituel semble fonctionner, les arbres "banals" se remettant bel et bien plus rapidement.
C'est une excellente chose à savoir. La force auquel le bijou a répondu pouvait être la force spécifique à une dryade, et aurait pu par exemple ne pas faire écho en toutes. J'aurais espéré que cela fonctionne mieux, mais, désormais, nous avons une méthode plus accessible, pour peu que les concernés prêtent attention.
Je te remercie, d'avoir retransmis les informations. Je ne ferai pas défaut, de faire passer le mot, autant que faire se peut.