Faisait-il nuit ? Dans l'obscurité des souterrains de l'Arcanéeum, impossible d'en être certain.
Depuis combien de temps étions-nous ici à attendre ? Il me semblait que ça faisait des mois, mais il me suffisait de jeter un œil sur les registres des réserves pour savoir que ça n'était pas le cas. Quelques semaines tout au plus.
Bon si on veut vraiment chipoter, quelques semaines peuvent finir par faire quelques mois... Mais c'est vraiment pour les chipoteurs !!
En tous cas, je notais soigneusement chaque bouchée de nourriture mangée en m'efforçant de ne pas envisager le pire, ni de me morigéner de ne pas avoir prévu plus de réserves.
Heureusement, l'eau n'était pas un souci.
Quand mes pensées devenaient trop sombres, je venais me glisser sous le bras de mon ménestrel préféré. Il lui suffisait de fredonner le refrain de sa dernière trouvaille pour m'arracher un sourire, voir un rire.
De toutes façons, me suicider pour ne pas en avoir fait assez était assez stupide en soit. Et ça ne changerait rien à la situation actuelle.
Il était peut-être temps que je me décide à fabriquer le bateau moi-même.
On ne pouvait guère reculer d'avantage, ni tergiverser plus longuement.
Nous pouvions utiliser les tables et les bibliothèques pour le bois dont nous pourrions avoir besoin. Un des livres nous offrit même le plan d'assemblement d'un navire pouvant emporter une dizaine de passagers.
Et summum de la bonne étoile, nous étions trois à avoir des connaissances en navigation. Certes les miennes étaient assez basiques, mais il n'était pas nécessaire que j'en sois le capitaine de toutes façons. Un boulot de matelot m'allait très bien.
Heureusement pour notre petite équipe, nous avions un menuisier avec nous. Parce que, soyons clair, si je suis une archère potable et une alchimiste douée, je n'ai absolument pas l'âme d'un charpentier ou d'une couturière.
Mine de rien, avoir un but redonna un peu de baume au cœur à tout le même. Même à ma râleuse jumelle qui traînait son ventre de plus en plus énorme avec de plus en plus de mal. Je lorgnais sa grossesse avec une envie de meurtre de plus en plus prononcée envers le géniteur.
Dommage qu'il fut déjà mort ...
Alors que nous luttions pour assembler les premières planches, une dispute survint. Fallait-il assembler ledit navire dans l'Arcanéum ou sortir pour se faire, à l'air libre ?
L'air libre... rien que l'idée m'arrachait des sueurs froides et des frissons d'horreur. Fallait-il que je leur parle de ce que nous avions vu là-haut ? Il me suffisait de croiser le regard d'un de mes compagnons de sortie pour me sentir plus coupable encore et plus hésitante à tout avouer.
La dispute s'envenimait.
Une clameur s'éleva soudain. Je me tournais vers le bruit et suivis du regard ma soeur qui roulait vers moi, activant ses petites jambes et son gros ventre qu'elle soutenait d'une main.
- La Djinn est là !! Nous avons quelques minutes pour évacuer !!!
Déjà elle repartait en arrière, nous laissant dans la plus complète stupéfaction.
- La quoi ??
- D'accord... tout le monde au laboratoire ! On évacue les lieux !!
Je n'attendis guère plus pour me précipiter vers mes bagages et mon amoureux. Avait-il assez changé pour envisager l'évacuation sereinement ?
Mes maigres affaires étaient prêtes depuis longtemps. Le plus encombrant était la machine d'Emilie. Une machine censée lui offrir de l'énergie pendant sa grossesse. J'y connais rien à la magie...
Mon ménestrel chéri avait déjà remplit son sac et tenait son luth d'une main. Il souriait.
Je me sentis alors soulagée d'un gros poids.
Nous allions nous en sortir !
Je pris sa main libre, puis une des mains de ma sœur, malgré sa protestation et ensemble, nous nous échappâmes de l'Arcanéum pour rejoindre Siv.