Sovenghärd en route.

- Non, c'est décidé, trancha Aethyr. Après tout, Siv ne sera pas toujours là pour nous guider et, même si elle devait l'être, il serait avantageux pour tout le clan de ne pas avoir à courir vers elle à chaque fois que quelque chose arrive. Nous devons pouvoir nous débrouiller sans elle, ne serait-ce que pour la laisser se reposer de temps en temps. De plus, nous faisons rarement des activités sans elle, voire jamais en ce qui a trait à Mordecaï et moi-même, alors ça nous donnera l'occasion de renforcer nos liens! »

Aethyr suivit cette annonce d'une menue bouchée de sa viande. Une fois le tout avalé, elle ajouta : « La lune sera pleine demain soir. Nous nous mettrons en chemin lorsque tombera la nuit. Je vous conseille de faire la sieste en après-midi pour être le plus alerte possible. » Elle déchira alors un plus grand morceau avec ses dents, un air déterminé habitant les traits de son visage.

Aethyr n'en rajouta pas. Elle baissa plutôt le regard, ravalant le sentiment qui montait. Il devenait de plus en plus évident, à ses yeux, que le grand Eodh ne partageait pas l'enthousiasme de sa femme quant au renouvellement du clan. Ce n'était pas la première fois qu'elle devinait qu'il aurait préféré être seul avec Siv, comme ses mots en témoignaient. Ce n'êtes pas vous qui êtes mariées avec elle... S'il voulait que l'Elfe le laisse tranquille, elle ne se laisserait pas prier!

Mais elle se ravisa. Cette attitude était enfantine et, de toute façon, ce problème n'en serait pas un bien longtemps, car elle était rôdeuse. Son devoir était de rôder, ce qui impliquait une certaine distance. N'était-ce pas exactement ce à quoi elle pensait un moment auparavant? Lorsqu'ils seraient mieux installés, elle passerait plus de temps à faire son travail et le souhait de l'homme serait exaucé. Peut-être même qu'une ombre accepterait de lui tenir compagnie en ces moments, mais, cela, elle l'ignorait encore.

Des pleurs provinrent du panier et Aethyr s'essuya les doigts sur la feuille avant de prendre Walig, le coupable, pour le bercer, sans trop savoir si c'était ce dont le poupon avait besoin.

Mordecaï amena lentement son regard bleuté sur Walig et puis sur Aethyr qui alla le prendre afin de le bercer. Elle étira un mince sourire en coin avant de s'approcher de l'elfe, afin de voir ce qui n'allait pas avec lui.

- Si tu aime les boules de suif, je suis toujours à la recherche d'une marraine qui a l’œil veilleur.

Le ton était quelque peu taquin, mais elle n'avait pas encore tout à fait choisi cela depuis qu'ils étaient nés, puis les choix étaient évident ; Siv ou Aethyr ? Voir les deux tiens... Quoi qu'il en soit, la chasseresse de dragon semblait visiblement apprécier le côté instinctif d'Aethyr envers ses poupons. Pas même besoin de se lever qu'il était déjà le centre de l'attention d'Aethyr. Son regard des abysses passa de Walig à Aethyr un léger instant.

- Un vrai petit homme en quête d'attention. Lâcha t'elle, sourire aux lèvres.

Puis elle amena son regard sur Siv, avant de l'étreindre doucement contre sa poitrine, elle étira son bras avant d'y amener également Aethyr. Elle relâcha par la suite avant de répondre à la chamane.

- Comme tu en as envie Siv, je ne le refuserai pas si tu désire en faire... Aethyr, n'as pas besoin de t'éloigner au contraire, ta présence je l'apprécie énormément. Et pour Davarion, je crois qu'il devra s'y faire, bien que je le comprend aussi à vouloir trop nous protéger. C'est quand même le seul homme du clan, donc je ne le prend pas mal du tout. Je voyais simplement ça plus normal que nous avions plus en commun pour cette sortie là, que lui, quitte à lui proposer de faire le garde-à-suif. Pouvoir bouger les quatre ensemble aurait été la solution la plus simple, mais sa prendrais un Seol...

Elle fit une légère moue en mentionnant Seol, puis secoua légèrement le minois pour ne pas se laisser abattre par sa non présence.

- On part demain c'est ça ?

- Oui, nous partons demain soir. Et ce n'est pas moi qui ai besoin de réconfort, mais ce petit bout de lettue! » Aethyr désigna Walig, mais celui-ci ne pleurait déjà plus, comme pour donner raison à sa mère. « D'ailleurs, pas besoin de parler à Davarion non plus; ça ne ferait que le rendre plus bourru. N'oublie pas que je le fréquente aussi depuis longtemps. Je sais comment le prendre! »

Si elle n'était pas très bonne pour cacher ses émotions, elle arrivait au moins à sourire facilement et c'est le visage qu'elle présenta aux deux mères. Malgré tout le temps qu'elle avait déjà passé en ce monde, elle n'était qu'une jeune femme parmi les Elfes et elle avait encore beaucoup de chemin à faire pour devenir une créature digne et sage comme ils étaient censés l'être.

« Une marraine, tu dis? Passer d'une filleule à cinq serait un grand saut, mais si j'en prenais deux et Siv les deux autres... » Elle regarda cette dernière, la questionnant du regard. « Après tout, nous le sommes déjà, à peu près! »

L'air léger, Aethyr fit son apparition au campement. Fidèle à ses habitudes des dernières semaines et peut-être incapable de faire autrement, son habit demeurait utilitaire. Seules des déchirures recousues servaient de décoration. À l'image de sa tenue, sa besace semblait ne contenir que le nécessaire et, du fait, était presque vide. Heureusement que la chamane s'était occupée du reste des préparatifs. Ainsi, l'Eodh corpulent et l'Elfe élancée portaient bagage à leur taille.

Si son regard pour le couple fut bref, il n'était pas moins marqué de tendresse. Elle n'avait sans doute pas passé un après-midi comme le leur, mais elle s'était absentée pour aller à la rencontre d'une autre personne qui lui était chère. Ses traits ne trahissaient rien quant à ce qui avait bien pu se passer. Déjà, le soleil avait passé par-delà la cime des arbres et la nuit approchait à grands pas.

« Êtes-vous prêts, tous les deux? J'ai peur que tu aies hérité de la tâche la plus difficile, mon amie », dit-elle avec un sourire désolé.

La guide hocha la tête avec entrain. « Merci pour tout, Siv! Il est temps que nous nous mettions en route. Il suffit de choisir une direction... » Son regard parcourut le sol à ses pieds et elle se pencha pour ramasser une samare. Un souffle sur la graine au creux de sa main l'envoya voltiger quelques secondes jusqu'à ce qu'elle ne retrouve le sol. L'Elfe regarda dans la direction indiquée par celle-ci, puis dit : « Par là! »

Aethyr mit une main chaleureuse sur l'épaule de Mordecaï avant d'entamer le trajet. Le soleil couchant donnait une lueur orangée aux arbres entre lesquels ils s'aventuraient. Chose certaine, le trio ne passerait pas inaperçu avec ses Eodhs de forte stature, sans compter l'harnois et le sac que portait Davarion. Les bruits sauraient attirer l'attention et Aethyr espérait qu'il s'agirait de la bonne. S'il fallait qu'ils tombent sur des monstres, l'armure de l'homme du groupe, l'homme du clan, ne serait pas de trop.

« Si jamais nous nous perdons de vue, pendant la nuit, et que nous n'arrivons pas à nous retrouver assez rapidement, je propose que nous retournions en direction du campement. Après tout, nous connaissons peu la forêt et ce qui l'habite. » Et nous n'avons pas d'armes, pensa-t-elle, sans le dire tout haut, au cas où on les écoutait. « Qu'est-ce que vous en pensez? »

Mordecaï terminait quelques retouches à son armure de cuir. Depuis son arrivée sur l'île, elle avait entreprit faire ses propres armures de cuir, puisque le besoin était présent. Elle rechignait toutefois sur les motifs et les coutures serrées. Quand elle eut terminé de se préparer, elle vérifia son sac d'ingrédients et ses bouquins, afin qu'il ne lui manque rien. Elle termina en passant voir ses quatre boules de suif, venant les embrassés les uns après les autres, tout en murmurant... - Vas Zu. Les laissant aux soins de Siv et de Morphée, pour au moins les deux ou trois prochaines heures. Lorsqu'elle entendu Siv parler de lapins, elle devint légèrement blême à nouveau, puis secoua la tête quelques secondes avant de vérifier que sa besace était bien attachée à sa taille... Quand Aethyr leur demanda s'ils étaient prêts, Mordecaï lui offrit un grand sourire.

- Plus que jamais !

Son regard vint sur Siv qui fit une remarque en rigolant. Mordecaï offrit un sourire carnassier à Siv un léger instant, le genre de sourire quand elle partait à la chasse au dragon. - N'en mange aucun non plus ! Dit-elle avant de rigoler à son tour. Elle avança pour rejoindre où Aethyr était et débuter la marche avec eux, lorsqu'elle senti une main chaleureuse sur son épaule. Elle en profita pour lui donner l'a pareil, avec une petite claque amicale dans le dos. - Le mieux c'est de rester groupé et au besoin, de se tracer un sentier en cours de route. Quand elle dit qu'ils n'avaient pas d'armes, elle se dit que c'était tout à fait optionnel. Grimper sur le haut d'un arbre pouvait être suffisant avec certains carnivores.

Par hasard, la samare les avait pointés vers le nord et le nord-ouest, d'après ce qu'avait constaté Aethyr. Le soleil maintenant couché, elle n'avait plus les moyens de s'orienter, car elle ne voyait plus les montagnes vers lesquelles ils s'étaient d'abord dirigés. Elle croyait que le trio continuait d'avancer dans la même direction générale qu'au départ, car il n'avait encore fait aucune rencontre malheureuse ou dû dévier trop de son chemin. Ses membres avaient conversé, parfois, pour passer le temps, mais, comme ils n'étaient pas les trois individus les plus bavares, ils n'étaient habituellement accompagnés que par le cliquetis du métal. Ce silence relatif donnait à celle qui ouvrait le pas tout le loisir de se laisser aller à ses pensées et surtout à cette histoire du clan de Crebain'Dor. S'ils étaient attaqués, pouvaient-ils se défendre? C'est ce que ferait un animal, s'il ne prenait pas la fuite; n'était-ce pas en harmonie avec les lois de la nature?

Ils devraient se fier à leur propre jugement pour analyser les situations qui se présenteraient à eux et ils devraient juger rapidement. Pour le moment, elle préférait ne pas considérer que l'Elfe du conte n'avait peut-être même pas agi comme le rapportait l'histoire. D'ailleurs, elle ignorait si elle aurait un jour l'occasion de questionner les siens à ce sujet, car ils devaient aussi avoir été pris d'assaut par les créatures sortant des failles. Son coeur se serra lorsqu'elle pensa à Nomìa, Dagon, Isyë et même à Aeriel et Elystar, possiblement tous morts. Quand elle avait accepté de rejoindre Sovenghärd, elle n'avait pas pensé qu'il pourrait un jour ne rester de Crebain'Dor que celle qui était partie. Pour se changer les idées, et aussi parce qu'elle avait l'impression qu'ils erraient sans but, elle pointa son bâton vers sa gauche et ce qu'elle pensait être l'ouest. « Allons par là un bout de temps. Si nous arrivons aux montagnes, ça ne nous aidera pas à établir le contact avec un esprit de la forêt. »

Oui, elle avait ramassé une branche assez solide pour servir de bâton de marche, non qu'elle ait eu besoin d'appui; seulement, s'il fallait repousser quelque chose, un bout de bois saurait certainement se montrer utile.