Sovenghärd en route.

Serrant ses bras contre son corps pour combattre la température, Aethyr devenait de plus en plus sûre que cette randonnée ne se solderait pas par un franc succès. Malgré tout, elle poursuivrait ses recherches jusqu'aux premières lueurs de l'aube. Heureusement qu'elle n'avait pas besoin de sommeil comme les Humains, mais elle se doutait qu'elle regretterait, avant la fin de la nuit, de n'avoir pu méditer pendant la journée.

De sa besace, elle sortit un bout de viande cuite et désormais froide. Puisqu'elle avait remarqué les traces au sol, car son regard alternait en permanence entre le sol et les bois environnants, elle décida de les suivre. Même si elles ne devaient mener à rien de pertinent, cette méthode valait mieux qu'une errance sans but. Tout en suivant la créature griffue, la rôdeuse tenta de déterminer si l'empreinte de ses pattes lui permettrait d'en reconnaître l'espèce.

L'animal serait redoutable, savait Aethyr. Une part d'elle voulait faire demi-tour, mais elle se força à continuer à suivre les traces dans la neige. Même si elle avait désiré se faire discrète, et elle avait décidé que la discrétion serait contre-productive, la substance blanche émettait un crissement à chacun de ses pas.

« Au moins, les traces devraient leur permettre de retrouver mon corps si je fais mauvaise route... » Elle avait marmonné, car, si elle ne tentait pas de se cacher, elle ne voulait pas non plus attirer l'attention plus que de raison.

Aethyr se figea en découvrant l'ourson. Le petit n'était pas bien effrayant, mais s'il était là, sa mère ne pouvait pas être bien loin. Trouver l'Elfe près de son enfant était sûrement le meilleur moyen de la mettre de mauvaise humeur. Ses périples avec les autres recrues dans les marécages de Crebain'Dor remontaient à quelques décennies déjà, mais la mémoire des siens était adaptée à leur longévité naturelle; même après tout ce temps, il y avait des moments qu'elle n'oublierait que lorsque s'éteindrait son âme. L'un de ces moments était une rencontre inopportune avec une panthère et ses petits et la blessure que s'était prise sa camarade archère, qui y avait presque trouvé sa mort. Tant pis.

Laissant glisser sa besace au bas de son épaule, elle l'ouvrit pour en sortir quelques baies qu'elle avait gardées pour plus tard. Les tenant au creux de sa main, elle fit quelques pas vers l'ourson, main devant, pour attirer son attention, mais garda une certaine distance pour ne pas l'effrayer.

À ces bruits, Aethyr se crispa. Comme elle s'y était attendu, un parent était dans le coin et ce parent se précipitait vers eux à toute vitesse. Aussi, elle voulut fuir, mais ne bougea pas tout de suite. Elle attendait de voir comment l'adulte réagirait en la voyant nourrir l'ourson, car elle espérait que le geste serait remarqué. Dans un cas comme dans l'autre, elle se retrouverait sûrement face à un ours courroucé. S'il fallait qu'elle agisse comme l'Elfe de l'histoire, en serait-elle capable? La crainte qu'elle ressentait avait de quoi la faire douter.

Lorsqu'arriva l'ourse, les mains de l'Elfe allèrent instinctivement à sa taille; elles n'y trouvèrent aucune arme. Le sang d'Aethyr se glaça dans ses veines en voyant l'animal se dresser sur deux pattes et des pensées qui avaient flotté dans son esprit durant toute l'expédition devinrent claires et précises : elle n'était pas cette ancienne dirigeante des rôdeurs. Elle n'avait pas rejoint cet ordre des défenseurs de Crebain'Dor et n'était donc même pas une rôdeuse en ce sens du terme. De plus, il était arrogant de penser qu'elle pourrait attirer l'attention d'un esprit gardien. Et puis, au nombre qu'ils étaient, pouvait-elle vraiment se permettre de risquer sa vie ou pire encore sans même savoir si son sacrifice ferait une différence? Non; ce serait irresponsable. Ces pensées se crystallisèrent en une conclusion : elle devait fuir.

Elle n'en fit rien. Aethyr resta sur place, devant la mère, attendant qu'elle frappe. Oui, elle devait fuir, mais, avant, son sang coulerait, comme dans l'histoire. Peut-être était-ce ainsi qu'on établissait le lien et peut-être pas, mais elle ne pouvait décevoir Siv en partant sans faire le moindre effort. Elle se prépara donc à esquiver, tout en sachant qu'elle devait au moins se laisser atteindre et que ce coup qui la trouverait pourrait s'avérer fatal.

Esquiver la frappe juste assez pour qu'elle l'égratigne s'avéra être une opération tout en finesse que l'Elfe échoua en partie. La patte et les griffes l'attrapèrent plus fort que prévu et l'envoyèrent rouler au sol. Elle arrêta sa course en se stabilisant à quatre pattes, puis en porta une à son torse, juste sous la clavicule, où la brûlure des entailles se propageait déjà. Le sang avait bel et bien coulé.

C'était tout ce qu'elle était prête à risquer cette nuit-là. Malgré son coeur qui battait dans ses oreilles, elle aurait voulu réconforter l'ourson, mais elle devrait simplement espérer que la mère se calme suffisament lorsqu'elle, Aethyr, serait partie. Fuya donc de l'endroit un canidé, plus rapide que ne l'aurait été la rôdeuse bipède, s'il arriva à s'éloigner de l'ourse.

Satisfaite que l'animal ne la suivait pas et trouvant trop douloureux d'utiliser ses pattes avant dans cet état, Aethyr reprit sa forme habituelle et gémit le plus discrètement possible, même s'il n'y avait personne autour pour l'observer. De sa besace, elle tira un onguent curatif préparé par Siv et, ayant dégagé les deux couches de vêtements déchirés, l'appliqua sur les griffures tout en retenant au mieux un ou deux hoquets de douleur.

La mixture devrait suffire pour retourner au campement. La rôdeuse se mettrait donc en route vers celui-ci et tenterait de retrouver la trace des deux Eodhs, si rien n'attirait son attention entre-temps.